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PORTER PLAINTE CONTRE UN MORT

"Ecrire c’est découvrir tout ce qui vit en toi"

Le fait d’écrire des lettres, est en soi un acte symbolique qui recèle de bienfaits insoupçonnés pouvant apaiser de nombreux symptômes et dépasser de façon insoupçonnée certains blocages et surtout de nombreuses émotions enfouies telles que : la colère, la déception, la tristesse, la rancœur, la honte…

J'utilise souvent cet outil au cours de mes accompagnements et suis toujours impressionnée par la puissance de l'exercice. Un exercice qui s'accompagne souvent d'une action, d'un après...plus rarement d'un véritable envoi du courrier (ce n'est pas le but initial)!

L'important est que la parole soit dite, les besoins exprimés!


Dans le cas où l’agresseur n’est pas identifié ou qu’il n’est pas possible d’envisager une confrontation avec lui, je propose à la victime d'écrire tout ce qu'elle voudrait lui dire, faire…si elle pouvait être en face de lui aujourd’hui !


La lettre a L’agresseur permet d’exprimer tout le Ressenti, la Rage, la Colère… souvent encore extrêmement présentes et surtout d’exprimer ses besoins non assouvis tels que le besoin de protection, de sécurité, de réconfort…des besoins qui continuent souvent d'être très présents.


Et quand l'agresseur, l'abuseur est mort, qu'il n'est plus légalement possible de porter plainte, que faire?

Que faire, sachant qu'il n'y a plus d'action légale possible pour que soit reconnu, confirmé, validé que : OUI, c'est bien arrivé! NON tu n'est pas folle! tu n'as pas inventé toute cette souffrance!

Tous ces symptômes, tous ces blocages...toutes ces années de spys en tout genre sont bien les conséquences d'un événement qui a bien existé même s'il n'est pas complétement accessible à la victime.


Car c'est bien la difficulté...Comment savoir si quelque chose dont je ne me souviens que partiellement est vrai?

En effet, dans le cas de traumas (Violence, Abus…) les souvenirs peuvent êtres complétement ou partiellement refoulés. Seules les émotions associées et des stratégies d’évitement peuvent subsister => les souvenirs réels ne font même parfois jamais surface et il faudra parfois faire le deuil de l’idée de savoir exactement ce qu'il s’est passé !

Bien que l’absence de souvenir n’empêche pas « la disparition des symptômes / des stratégies d’évitement. » il est frustrant, pour les victimes, de ne pas pouvoir nommer/identifier l’agresseur ou les agresseurs (quand il y a eu cumul de traumas).


« Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voir des décennies tant que la personne reste dissociée, seuls resteront quelques images très parcellaires, des bribes d'émotions envahissantes ou certains détails périphériques isolés (40% d'amnésie complète et 60% d'amnésie partielle quand les violences ont eu lieu dans l'enfance. Brière, 1993 ; Williams, 1994 ; INSEA, 2015. Extrait du livre : Le livre noir des violences Sexuelles du Docteur Muriel Salmona (La référence sur le sujet)»



Dernièrement en séance, une patiente victime d'inceste, dont le père est décédé, m'exprimait le besoin de reconnaissance de l'abus qu'elle a subit....

Nous avons calculé ensemble ce qu'elle avait dépensé en 30 ans d'accompagnement : presque 100 000 euros de séances.

Cela semble vertigineux et pourtant la souffrance est toujours là! La difficulté à s'autoriser à être heureuse, à vivre, à jouir pleinement de la vie, à refaire confiance aux Hommes, à son homme (avec lequel elle a eu 2 enfants) est encore là!

Bien sûr, il y a eu beaucoup de chemin de fait, avec de belles avancées et, au passage, une découverte de soi..

L'envie de se réparer, d'y arriver est intacte. Avec, chaque jour, plus d'autonomie et je lui souhaite tellement de voler à 100% de ses belles ailes!

Lors de notre dernière séance, elle évoquait pourtant encore ses doutes par moment vis à vis de la réalité des faits....

La peur de trahir son père (pourtant décédé), la peur de trahir ses frères dont elle ne sait pas s'ils ont vécu la même chose, la peur qu'on ne la croit pas!

Et derrière ses peurs, le besoin d'une sorte de DIPLÔME reconnaissant ce qu'il lui était arrivé.

Un Diplôme avec écrit dessus : J'ai subit un inceste!

Le besoin que l'état, la société, l'entourage puisse reconnaitre, valider, entendre, croire ....

Le besoin de ne plus se sentir seule, de sortir du déni, des non-dits pour peut-être aussi bénéficier enfin du soutien, le réconfort de ses proches....

Mais comment faire quand l'agresseur est mort et qu'il n'y a plus de recours légal possible?


C'est à ce moment là que je découvre le post ci-dessous!



"Un jour, il y a longtemps, j’ai été violée.

Puis il se trouve que l’agresseur est décédé. Vingt ans plus tard, j’ai choisi de faire une chose dont les gens ne comprennent pas toujours la portée : j’ai décidé de porter plainte contre mon agresseur. A l’heure où il est de bon ton de dire qu’il ne faut pas réveiller les morts, qu’il ne faut pas parler après leur décès puisqu’ils ne sont plus là pour se défendre, à l’heure où il est de bon ton de dire qu’il faut pardonner et que la prescription existe parce que le droit à l’oubli existe, je voudrais expliquer pourquoi j’ai éprouvé le besoin de porter plainte contre un mort.


Alors comme ça, il est mort ? C’est vrai.

C’est vraiment vrai. Il a une tombe, quelque part en France, avec des fleurs dessus. Il est mort. Je le sais, qu’il est mort. Tout le monde le sait, qu’il est mort.

Il est mort. Mais moi je suis toujours vivante. Vouloir que l’histoire s’achève parce qu’il est mort, c’est nier mon existence à moi. Comment l’histoire pourrait-elle être achevée alors que je suis toujours vivante ? Comment l’histoire pourrait-elle être achevée alors que j’ai toujours mal ? Que c’est toujours là dans ma tête ? Que ce sera toujours là parce que tant que je serai vivante, ce sera là ?

Il est mort. La belle affaire. Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse? Qu’est-ce que vous voulez que ça fasse à ma souffrance ? L’apaiser ? Vous rêvez... Vous cherchez une fin à l’histoire parce que c’est plus facile pour vous d’imaginer que ce genre de chose a une fin. Vous, la société, vous inventez toutes les fins que vous pouvez. La prescription, le deuil, le pardon, la mort de l’agresseur, vous cherchez, vous cherchez... Vous voulez mettre un point final et tourner la page. Pire. Vous voulez que la victime le fasse pour vous. Vous voulez qu’après avoir pris sur nous pendant toutes ces années pour ne pas vous dire la souffrance des agressions, nous prenions à nouveau sur nous pour vous dire une fin qui n’existe que dans votre tête.

Il est mort. Et alors ? J’ai toujours mal. J’ai toujours mal à chaque fois que je marche, que je respire, à chaque fois que je croise un homme dans la rue, et une femme aussi d’ailleurs. J’ai toujours mal. Je fais mon travail, je me reconstruis, je redeviens maîtresse de ma vie, mais tout ça n’enlève pas la douleur. Rien n’enlève la douleur originelle, la douleur qui est là comme une marque au fer rouge, la douleur qui est là pour toujours, la douleur avec laquelle j’apprends à vivre.

Il est mort. Donc je devrais me taire ? Vous voulez dire que non seulement je dois supporter d’avoir mal, mais qu’en plus, je n’ai pas le droit de dire : « Aïe ! » ? Quand on vous fait mal, vous criez. Alors pourquoi n’aurais-je pas le droit de crier, moi aussi ? La moindre des choses, lorsqu’il n’existe pas d’anti-douleur ou de remède, c’est de laisser la personne crier à pleins poumons. Ça ne soigne rien, je suis d’accord, mais ça soulage un peu quand même.

J’ai porté plainte pour crier. J’ai porté plainte pour dire que j’avais mal.

J’ai aussi porté plainte pour me dire à moi-même que j’ai fait le choix de vivre. J’aurais pu m’ouvrir les veines ou m’enfoncer dans les médicaments, mais j’ai choisi de crier, comme un nouveau-né entre dans la vie non pas en souriant mais en pleurant. J’ai porté plainte pour poser une balise sur cette planète, pour poser ma marque, pour qu’un repère existe qui soit là pour toujours, qui me dise pour toujours : « Ce jour-là tu aurais pu faire le choix de mourir mais tu as fait le choix de vivre. »

Quelque part, quelqu’un a lu ma lettre. Je le sais parce que j’ai reçu une réponse du tribunal. Plusieurs mois plus tard, j’ai reçu une lettre m’informant du classement de ma plainte en raison du décès de l’agresseur. Ma plainte est classée ? Ça me frustre ? Bien sûr que non. Evidemment que je ne m’attendais pas à ce qu’ils rouvrent une affaire vieille de vingt ans, une affaire post mortem, une affaire qui concerne un mort. Je ne suis pas naïve. Je n’ai pas écrit en espérant qu’on ferait quelque chose de ma plainte. On ne porte pas plainte contre un mort comme on porte plainte contre un vivant.

J’ai adoré recevoir la réponse du tribunal parce que c’est la preuve que ma lettre a été lue. Pour pouvoir me répondre, il a bien fallu qu’on me lise, il a bien fallu qu’on lise son nom, et le mien, et le récit des faits. Peut-être que ma lettre a été lue à toute allure, en diagonale, par un fonctionnaire pressé qui a haussé les épaules en se disant : « Encore une perte de temps, une plainte sans accusé vivant, il y en a qui n’ont vraiment que ça à faire. » Peut-être que ma lettre a été lue par une personne à l’écoute, qui a été bouleversée par mon histoire, qui a regretté de ne pouvoir rien faire de plus pour moi que me renvoyer le formulaire officiel. Peu m’importe qui a lu ma lettre. L’essentiel, c’est qu’elle ait été lue. C’est que quelqu’un, quelque part, a dû prendre cinq minutes sur son temps pour ouvrir mon courrier, le lire, et me répondre. Ces cinq minutes, ce sont mes cinq minutes. Mes cinq minutes à moi. Mes cinq minutes pendant lesquelles ma souffrance a existé aux yeux de la société puisque, symboliquement, la société a pris cinq minutes sur son temps pour s’occuper d’elle.

Non, on ne porte pas plainte contre un mort comme on porte plainte contre un vivant. Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête d’une personne qui choisit de porter plainte contre un vivant. Mais je sais que la mort de l’agresseur n’arrête rien et surtout pas le droit de la victime à parler. La mort de l’agresseur n’enlève pas la souffrance, la mort de l’agresseur n’enlève donc pas le droit de la dire.

J’ai eu mes cinq minutes. Cinq minutes. Ce n’est pas cher, vraiment. Peut-être même moins. Combien de temps faut-il pour ouvrir une enveloppe, lire une lettre et imprimer un formulaire automatisé en y changeant quelques noms ? Combien de temps ma souffrance aura-t-elle osé réclamer à la société française ?

Et il y en a pour dire que ce petit laps de temps, ce court moment qu’on m’a donné est encore trop long. Il y en a pour dire que je salis sa mémoire, que j’encombre les tribunaux, que je n’ai pas le droit de parler parce qu’il n’est plus là pour se défendre. Ces gens-là sont obscènes. Ces mêmes gens qui sont là pour défendre ce mort, où étaient ils pour me défendre moi bien vivante lorsqu’il m’a violée ?

J’ai aussi porté plainte pour vous dire à vous la société que vous n’avez pas été là quand j’avais besoin de vous. J’ai réclamé cinq minutes de votre temps comme on réclame cinq mètres de terrain à la mer après une inondation. J’ai pris cinq petites minutes dérisoires de votre attention parce que vous n’avez pas été à l’écoute dix ans durant pendant les agressions.

J’ai porté plainte contre un mort. C’est l’une des choses dont je suis le plus fière. J’ai eu le courage de verbaliser ma souffrance, d’en faire un acte de vie, de demander symboliquement des comptes à la société. Pour faire tout cela, il fallait du temps, il fallait que je sois prête, il fallait que le processus mûrisse à l’intérieur de moi. Voilà pourquoi il s’est écoulé presque vingt ans entre le jour de son décès et le jour de ma parole. Voilà pourquoi vous avez parfois l’impression que nous parlons « à retardement ». A retardement par rapport à qui, par rapport à quoi ? A retardement par rapport à vous. A retardement par rapport à lui. Mais, et par rapport à moi ? Permettez que je mesure le temps à mon échelle et pas à la vôtre, ni à la sienne.

Il est mort, je suis vivante et j’ai porté plainte contre lui!"



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